Une déclaration de la Ligue pour le Parti Révolutionnaire, du 16 août 2002.

La traduction française est de Frédéric Traille, publiée dans le numéro 17 du journal Le CRI des Travailleurs, organe du Groupe CRI (Communiste Révolutionnaire Internationaliste).


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La libération des Noirs passe par la révolution socialiste

Le capitalisme américain a toujours été raciste jusqu’à la moelle. Son impérialisme hégémonique hors des frontières comme sa stabilité à l’intérieur reposent sur l’oppression continue des noirs, ainsi que sur celle des hispaniques et des immigrés. Et les capitalistes ont toujours utilisé le racisme pour diviser et dominer les masses. Si la classe dominante américaine n’avait pas pu utiliser les Blancs, y compris parmi la classe ouvrière blanche, comme ses pions contre les Noirs, le système qui s’empare de toute la richesse produite par notre propre travail aurait été renversé depuis des années. La libération des Noirs ne peut être conquise que comme le résultat d’une révolution socialiste détruisant la domination impérialiste.

Des rafles en Afrique, en passant par l’holocauste génocidaire de la traversée, jusqu’aux siècles d’asservissement sur ces rivages, l’esclavage a été la base sur laquelle le capitalisme américain s’est construit. Après la fin de l’esclavage, l’esclavage salarié et le métayage ont fait peser un fardeau injuste et inhumain sur les travailleurs noirs. Même aujourd’hui, alors que les dirigeants ont été obligés de faire des concessions substantielles envers les gens de couleur, les travailleurs et les pauvres noirs -- particulièrement la jeunesse noire -- souffrent de manière disproportionnée des bas salaires, du chômage, du temps partiel, des brutalités policières, des mauvaises écoles, des soins médicaux pourris, des logements misérables et de la ségrégation de fait.

Et la perte progressive de tous les acquis passés n’est pas terminée. Quelques Noirs au gouvernement et dans les affaires ne peuvent pas cacher une réalité qui ne cesse d’empirer et que la majorité de la classe ouvrière et des pauvres noirs doit affronter aujourd’hui. Bien sûr, les réformes et les gains immédiats sont importants et doivent être défendus, mais ils ne pourront être assurés que par une libération révolutionnaire. Le racisme peut être combattu maintenant, la question est de savoir comment et dans quel but.

Aucune lutte ne peut être plus juste que le combat contre le racisme dans ce pays. Le jour où la justice sera faite pour les victimes de tous les actes de racisme, dont l’esclavage, sera un jour glorieux. Mais pour cette raison précise, l’effort actuel pour obtenir des réparations pour les années d’esclavage est erroné. Ce n’est pas par hasard si la majorité des travailleurs noirs, et particulièrement la jeunesse révoltée, ne s’est pas saisie de cette campagne. Cela semble irréel. C’est irréel.

Les révoltes massives dans les ghettos, que les pouvoirs en place n’ont pas pu contrôler, ont remporté les victoires majeures de la fin des années 60 et du début des années 70. Le système capitaliste avait alors encore de la marge, de telle manière qu’il pouvait être forcé à faire des concessions. Aujourd’hui, Enron et tant d’autres scandales montrent à quel point ses énormes profits sont imaginaires. Ce n’est pas une surprise si, depuis des années, il a implacablement cherché à reprendre les gains remportés par les révoltes noires. Et quand l’économie décline, la situation critique de tous les travailleurs et de tous les pauvres -- surtout chez les gens de couleur -- s’empire inévitablement.

Ceux qui prétendent mener campagne pour les « réparations » détournent le combat contre le racisme

La demande de réparations sous le capitalisme est utopique car le capitalisme américain est par définition raciste et injuste. L’esclavage a été une cause du racisme d’aujourd’hui ; toutefois, la discrimination anti-Noirs est encore partie intégrante du système. Les dirigeants de la campagne pour des réparations font des demandes qui concernent le passé raciste car ils n’ont aucun programme contre le racisme actuel qui ne fait qu’empirer. En fait, les politiciens du Parti Démocrate qui constituent une force majeure de la campagne pour les réparations ont accepté et couvert les attaques contre les travailleurs noirs. L’administration Clinton a ouvert la voie à Bush et compagnie. Ce sont Clinton et les démocrates qui ont mis fin à « l’aide sociale telle que nous la connaissions », financé l’expansion des forces de police, présidé à la vaste augmentation de la population noire dans les prisons et supervisé l’érosion des gains déjà pitoyables de la discrimination positive (affirmative action).

La campagne en faveur des réparations de l’esclavage demande que l’État capitaliste rende justice pour les horreurs passées. Si quatre flics peuvent s’en sortir en ayant tiré 41 balles sur un Amadou Diallo désarmé, quelles sont les chances que le même système rende la justice qui lui est demandée ?

Aujourd’hui, avec l’expansion des classes supérieures noires qui pensent avoir des intérêts dans le système capitaliste, les Noirs sont divisés en classes comme jamais auparavant. Les différentes propositions des dirigeants favorables aux réparations reflètent leurs intérêts dans le capitalisme : un somme touchée une fois pour toute par chaque Noir, ou des programmes financés par le gouvernement et dirigés par des administrateurs de la classe moyenne noire. Dans la tentative de présenter les réparations comme raisonnables, afin que les capitalistes puissent y souscrire (une idée très déraisonnable !), la somme concrète demandée pour la communauté noire serait infiniment dérisoire, comparée aux super-profits générés par l’esclavage. Et c’est une somme beaucoup plus dérisoire encore qui parviendrait réellement jusqu’aux masses noires.

Si par quelque miracle fantastique ce niveau de réparations même pouvait être gagné, qui paierait pour cela ? La classe ouvrière. Et étant donné les discriminations raciales existantes, le fardeau pèserait de manière disproportionnée sur les travailleurs de couleur. Les capitalistes qui dirigent ce pays répercuteraient les coûts, comme ils le font toujours. Les travailleurs noirs et les hispaniques paieraient une part majeure de la facture, au moyen d’un fardeau plus lourd de taxes, de hausses des prix et d’une exploitation plus intensive au travail. Le système capitaliste n’est pas seulement raciste, depuis la fin de l’esclavagisme il a trouvé un nombre infini de moyens toujours plus subtils de super-exploitation.

Directement et indirectement, le système capitaliste vit du racisme. Les leaders de la campagne pour les réparations feignent d’ignorer combien ce phénomène est profond et endémique, afin d’éviter la confrontation avec le système dont ils bénéficient partiellement mais qui brutalise la masse des gens de couleur.

Luttes de masse

Les dirigeants de la campagne en faveur des réparations proposent des poursuites judiciaires, des négociations, des votes, des décisions de cour, des lois du Congrès, du lobbying et des amendements constitutionnels comme moyens pour atteindre leurs buts. Mais l’esclavagisme n’a pas pris fin par des poursuites judiciaires et du lobbying -- il a été défait par la guerre civile, dans laquelle les anciens esclaves ont joué un rôle décisif. Ce sont les soulèvements dans les ghettos -- de Watts à Détroit, de Newark à Harlem -- et non une tactique de pression pacifique qui ont imposé les concessions des années 60 et 70. Le système peut être forcé à faire de sérieuses concessions par des luttes de masse. Pour un moment, elles peuvent même obliger les capitalistes à ne pas répercuter le fardeau de ces gains. Mais la dernière chose que veulent les politiciens pro-réparations est bien le renouveau des luttes de masses des travailleurs noirs.

La vie est une lutte constante et quotidienne. Puisque la plupart des Noirs doit faire face continuellement à l’oppression raciale et à l’espoir brisé d’une vie meilleure, l’étincelle de la résistance s’allume inévitablement quand ces problèmes immédiats deviennent insupportables. Les horreurs comme les brutalités policières provoquent des explosions. Dans les années 60, les révoltes massives des ghettos bouleversèrent tout sur leur passage, terrifièrent le système et remportèrent de véritables victoires.

L’un des gains cruciaux fut que les industries clés ont été obligées d’embaucher un grand nombre de travailleurs noirs. Ces travailleurs ont joué un rôle décisif dans la vague militante de grèves du début des années 70. Quelles que soient les attitudes qu’ils aient pu avoir, beaucoup de travailleurs blancs en sont venus à respecter la capacité des Noirs à combattre et à gagner. Pour la première fois dans l’histoire des États-Unis, des travailleurs blancs ont suivi la direction des travailleurs noirs dans la lutte. D’importants avantages ont été conquis, bien que les luttes aient été finalement contenues avec l’aide des bureaucrates souvent racistes qui dirigent les syndicats. Et malgré tous les revers, toutes les pertes, tous les renversements qui ont surgi depuis, les travailleurs noirs continuent à occuper des positions essentielles dans des secteurs clés de l’industrie, du transport et de l’administration.

Travailleurs noirs, luttes de classe et révolution socialiste

Aujourd’hui, les travailleurs noirs ont encore le pouvoir de mettre fin au système des profits. Ils pourraient mener à l’immobilisation les villes les plus importantes et même tout le pays avec une action de masse de la classe ouvrière comme une grève générale. Une étincelle possible serait un autre acte outrageant venu de l’omniprésente brutalité policière. Et, comme cela s’est passé à Los Angeles en 1992, la réponse ne se limiterait pas aux Noirs. Les attaques capitalistes frappent tous les travailleurs. La force de travail la plus mal payée d’aujourd’hui se compose d’un grand nombre d’hispaniques et d’immigrés qui, alors qu’ils n’ont pas subi l’esclavagisme aux États-Unis, sont confrontés aujourd’hui aux discriminations raciales et nationales. Beaucoup de travailleurs blancs font aussi face aux difficultés économiques. Sous la surface du battage patriotique, il y a une peur croissante parmi la classe ouvrière à propos de l’économie, et une hostilité profondément ancrée envers les politiciens et les patrons. L’éruption se produira, ce n’est qu’une question de temps. Les travailleurs noirs se trouvent à une place stratégique ; ils ont le pouvoir de mener une réelle contre-attaque de masse.

Le système capitaliste dépend fortement des travailleurs noirs. Il se protège lui-même par son arme ancestrale de « diviser pour régner », encourageant le racisme des Blancs et l’utilisant à son tour contre les Noirs. Dans cet esprit, les bureaucrates ouvriers blancs et les menteurs démocrates radicaux ont trahi toutes les alliances qu’ils ont conclues avec les travailleurs noirs. Les Noirs ont de bonnes raisons d’avoir peu confiance en la solidarité des Blancs, qui se sont si souvent laissés utiliser comme des pions raciaux. Mais aujourd’hui, étant donné la position économique stratégique des travailleurs noirs, quand ceux-ci lanceront une grève, les travailleurs blancs suivront de plus en plus la direction des travailleurs noirs en lutte.

La crise économique qui s’approfondit et la répression d’État croissante (pour laquelle le 11 septembre n’a été qu’un prétexte opportuniste) garantit qu’il y aura, tôt ou tard, des actions de résistance de masse de la part des travailleurs et des pauvres. Dans ces actions de la classe ouvrière, les travailleurs révolutionnaires comme nous dans la LRP combattront pour un programme d’égalité des salaires, de plein emploi, de travaux publics massifs, pour la lutte en faveur du logement, de la couverture santé et des écoles, pour l’arrêt des brutalités policières. Les travailleurs formeront leurs brigades d’auto-défense pour protéger leurs communautés et leurs grèves contre les capitalistes et leurs policiers voyous. Nous croyons qu’il faudra une révolution ouvrière, créant un État ouvrier sur la route du socialisme, pour satisfaire ces revendications élémentaires et nécessaires.

Certains dans « le mouvement des réparations » ont reconnu que les réparations pourraient être utopiques, en nous rétorquant que notre but de révolution socialiste est encore plus utopique. Mais quand la lutte de masse inévitable explosera de nouveau, l’idée de la révolution deviendra réelle pour de nombreux combattants, comme ce fut le cas pour Malcolm X, les Black Panthers et beaucoup d’autres. Une fois que les travailleurs, les pauvres et les opprimés auront commencé le combat, le monde paraîtra très différent. Le capitalisme ne va pas durer éternellement : sa crise est maintenant trop profonde.

Quand la lutte elle-même s’approfondira, elle adoptera des revendications comme le programme socialiste esquissé ci-dessus. Si nous faisons notre travail de fond aujourd’hui au lieu de rejoindre les diversions, un nombre croissant de travailleurs politiquement avancés nous rejoindront dans la construction du parti prolétarien révolutionnaire pour gagner la direction de la classe ouvrière. De la même manière que les travailleurs noirs fourniront la direction des luttes ouvrières, sans rapport avec leur nombre dans la société, du fait de leur histoire de lutte et de leur position stratégique, ils devront jouer et joueront aussi le même rôle dirigeant dans le parti ouvrier révolutionnaire à venir.

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